MATERIAUX REFLEXIFS

 

 

 

CABANES 

 

Rapprochement facile, s’il en est, de l’objet palette avec l’outil et la gamme colorée du peintre, la palette partage avec la couleur l’étendue de la diversité. La multiplicité des standards induit le tri, la sélection comme moteur du processus de construction des cabanes. À l’inverse du dessin numérique et des plans architecturaux qu’il permet d’exécuter avec rapidité, la palette constitue à la fois le module mais aussi la trame se développant graphiquement dans l’espace réel, au rythme de la manipulation.

Bien que produit d’une fabrication sérielle, la palette convoque pour son assemblage l’empiricité du montage, le positionnement, le déplacement de l’objet, la présentation et l’ajustage des éléments, le recul du corps du constructeur, l’approbation de son regard. Le jeu de construction, malgré la sollicitation d’un matériel industriel, réhabilite la main et le geste. Paradoxalement l’assemblage artisanal rétablit la répétition par des assemblages mécaniques rudimentaires.

Dévêtues partiellement des qualités protectrices de l’habitat, les cabanes esquissent une structure offerte à l’imaginaire. Acteur du processus de fabrication, le visiteur en posera à son gré la couverture, l’enveloppe, l’habillage intérieur, le mobilier. C’est à Michel Foucault que nous pourrions emprunter ces paroles expressives du maillage de nos histoires et des lieux * []… nous ne vivons pas dans un espace homogène et vide, mais, au contraire, dans un espace qui est tout chargé de qualités, un espace, qui est peut-être aussi hanté de fantasme; l'espace de notre perception première, celui de nos rêveries, celui de nos passions détiennent en eux-mêmes des qualités qui sont comme intrinsèques; c'est un espace léger, éthéré, transparent, ou bien c'est un espace obscur, rocailleux, encombré… [].

Symbolique dans une ville de transit et de transport de marchandises, la palette en bois ajourée contraste avec le conteneur fermé au métal froid. Le bois offre aux visiteurs, comme aux œuvres projetées dans les cabanes, l’intimité d’un écrin. L’ouverture des pignons, la claire-voie des murs et des toitures offrent un regard sur les installations, les photographies alentours nous plongeant dans le rêve d’une nuit étoilée, au temps du vagabondage de notre esprit d’enfant, des instants complices de la camaraderie.

C’est peut-être à partir de la rencontre de ce premier désir, difficilement réalisable (en apparence ludique), que représente la manipulation de conteneurs modulaires, puis au désir plus intime, plus inaccessible encore, de retrouver un moment de notre enfance, que s’élaborent ces structures. De ces maillages de désirs découlent peut-être ces constructions hétérotopiques, mais aussi la volonté de figer le passé en des murs dépositaires de nos souvenirs * []…, la volonté d'enfermer dans un lieu tous les temps, toutes les époques, toutes les formes, tous les goûts, l'idée de constituer un lieu de tous les temps qui soit lui-même hors du temps, et inaccessible à sa morsure, le projet d'organiser ainsi une sorte d'accumulation perpétuelle et indéfinie du temps dans un lieu qui ne bougerait pas, eh bien, tout cela appartient à notre modernité. []. Paradoxalement cette volonté se trouve matérialisée, mise en abîme, le temps de la monstration d’une production.

                                                                                                                                                                                                                                  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                       Sébastien Jolivet le 09/11/2011

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*Michel Foucault, Dits et écrits 1984, Des espaces autres (conférence au Cercle d'études architecturales, 14 mars 1967), in Architecture, Mouvement, Continuité, n°5, octobre 1984, pp. 46-49.

 

 

Sébastien Jolivet Le Havre  Installation Art Contemporain
Sébastien Jolivet Art Contemporain Le Havre
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